Regards sur le Levant
À l’heure où le Proche-Orient, terre meurtrie par des décennies de conflits, voit défiler sur nos écrans des images d’horreur et de destruction, brutales et insoutenables, beaucoup d’entre nous ressentent un mélange de sidération, d’impuissance, de colère et de tristesse. Ces flux visuels exposent à une violence crue mais trop souvent privée de contexte, de profondeur et de récit. Les conflits s’accompagnent de désinformation, avec des médias dominants qui dépolitisent l’histoire, déshumanisent les peuples et réduisent ces réalités à des fragments éphémères, sans histoire, sans mémoire, ni racines. Le contexte politique national est tout aussi traversé de discours haineux et binaires, relayé par la sphère médiatique commerciale.
Dans ce paysage troublé, Docs en Vue propose une halte. Il invite à suspendre le cours de nos quotidiens pressés, à ralentir, à observer et à écouter, ouvrant un espace de rencontre et de réflexion. C’est un temps pour se rassembler, se confronter à ce qui dérange et penser collectivement, renouant avec le monde et sa complexité.
La 2ᵉ édition de Docs en Vue propose une immersion cinématographique au cœur du Levant, avec un focus consacré à 3 pays : la Syrie, la Palestine et le Liban. 5 cinéastes originaires de ces territoires viendront accompagner leurs films et échanger avec le public. À travers leurs regards, ils redonnent souffle et dignité à des vies reléguées aux marges, et inscrivent des histoires singulières dans une mémoire collective en construction.
Ici, le cinéma documentaire devient un acte de résistance. Les cinéastes prennent le temps de raconter et de relier, de donner une voix à celles et ceux que le fracas médiatique réduit au silence. Par la diversité de ses formes et de ses écritures, ce cinéma s’oppose à la simplification des discours : il résiste aux binarismes, embrasse les contradictions, accueille les silences et réaffirme la nécessité de la nuance et de la complexité. Filmer devient alors un acte vital, arraché à l’oubli et à la violence, qui redonne au réel sa densité et sa profondeur.
Le programme de cette 2ᵉ édition réunira 13 documentaires de création : 7 seront projetés au Fresnoy, et 6 Hors les Murs. Loin de la standardisation des formats imposés, les films sélectionnés portent un regard sensible sur les réalités politiques, sociales et sociétales de notre époque. Toutes les projections seront prolongées par un temps d’échange avec les cinéastes ou avec des professionnels de l’image.

Ainsi, Taste of cement de Ziad Kalthoum, Still recording de Saaed Al Batal et de Ghiath Ayoub, et Journal intime du Liban de Myriam El Hajj, à travers des narrations différentes nous plongent au cœur des conflits et des traumatismes, avec des mises en scène emprunts de poésie, de résistance et de liberté.
Les pages sombres de la colonisation de la Palestine s’imposent à notre programmation, avec 3 films qui éclairent les enjeux historiques, politiques et humains à l’œuvre dans l’écrasement d’un peuple, l’effacement de ses territoires, de sa culture et de son identité. Roshmia de Salim Abu Jabel, One more Jump de Emanuele Gerosa, et Avant il n’y avait rien de Yvann Yagchi s’inscrivent dans une démarche de réappropriation des récits en donnant voix à des existences effacées. C’est aussi faire écho au cerf-volant blanc évoqué dans S’il est écrit que je dois mourir, le dernier poème du poète, écrivain et professeur palestinien Refaat Alareer.
Les projections Hors les Murs sont au cœur de notre programmation : aller à la rencontre des habitants et faire vivre le cinéma dans leurs lieux de fréquentation. Cette année, Docs en Vue s’associe à des médiathèques, centres sociaux et associations de Roubaix, Tourcoing et Wattrelos, pour proposer des films multi-primés dans de grands festivals internationaux. Les films programmés ouvrent des fenêtres sur des mondes fragiles où, malgré la guerre, l’exil, et les décombres pour ceux qui restent ; subsistent des gestes de résistance. Lire, dessiner, courir deviennent alors des manières de tenir debout, d’espérer, de refuser l’écrasement.
Une table ronde réunira des cinéastes autour d’une question brûlante : créer en temps de guerre. À travers des extraits de films, ils partageront comment ils ont traversé cette épreuve et choisi, malgré tout, de résister, de rester au milieu des décombres, de filmer, de raconter, de témoigner, de mettre en film.
L’éducation à l’image auprès du jeune public est au cœur de nos préoccupations pédagogiques. Des actions et projections leur sont spécialement dédiées. Dans un monde saturé d’images et de sons, il est essentiel d’accompagner le regard, de proposer des repères, et de stimuler une lecture active et consciente.
Docs en Vue nous entraîne au cœur d’histoires singulières, où le cinéma documentaire devient une expérience partagée, capable de bousculer nos certitudes et d’éveiller nos consciences.
Ce dialogue entre les œuvres, les artistes et les publics est au cœur de notre démarche : un espace de réflexion, de sensibilité et d’échange, où le cinéma devient une expérience collective et humaine, nous invitant sans cesse à interroger le réel.
Autant d’invitations à découvrir la programmation complète du festival !
Naïma Bouferkas
Organisatrice du festival




